L’uberisation du secteur de l’accompagnement à domicile est en marche !

Envie d’une pizza ? Le tâcheron 2.0 est là pour toi. « worker on tap »! Ce qui existait pour le transport de ta petite personne, l’apport à ton domicile du litre de lait que tu avais oublié de mettre dans ta commande en ligne se décline dorénavant pour « l’accompagnement » à domicile des personnes fragiles et dépendantes.

Je suis auxiliaire de vie. Des années que l’on hurle que notre secteur est en souffrance, nous les salariées de terrain et les coordos qui gèrent plannings, évaluations à domicile, relations téléphoniques avec les usagers, tuteurs, services de soins et cie… Des années qu’on se bat pour des politiques publiques à la hauteur des urgences. Des années qu’il est promis une loi grand âge, un PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) qui mette l’argent public indispensable sur la table suite aux 9 rapports et missions parlementaires depuis 2017, payés par nos deniers dont les constats/solutions sont identiques : Manque crucial de pros de l’accompagnement (aides à domiciles, auxiliaires de vie, ASH, aides soignantes) face à des besoins qui augmentent au regard du vieillissement de la population.

Les solutions ?

Revalorisation des salaires afin que nous puissions vivre de notre travail ET travailler sur une organisation du travail en équipe, en tournée, afin que nos corps ne soient pas brisés. Ben dame ! Le baby boom, c’était de 1945 à 1975, c’est pas comme si on avait pas des démographes qui ont bossé sur la question. (1)

Question « attractivité » : salaires et conditions de travail indignes ! (2)

Nous sommes corvéables à merci, des amplitudes de journée pouvant aller jusqu’à 13h, payées 7h à cause des « trous » dans les plannings, travail le weekend et jours fériés, secteur 3 fois plus accidentogène que dans le BTP et l’industrie (chiffre AMELI), TMS/Troubles psychos sociaux/corps usés/ L’âge moyen de licenciement pour inaptitude se situe sous les 50 ans. De facto, et ça nous mine, et c’est AUSSI pour ça qu’on hurle et qu’on se bat : les personnes qui ont besoin de nous, qui ont des heures APA (Allocation Personnalisée Autonomie) ou PCH (Prestation Compensation Handicap) via le département ont de plus en plus de mal à avoir l’entièreté de leur plan d’aide faute de professionnelles (nous sommes à 97 % des femmes, mes collègues masculins ne m’en voudront pas de « féminiser » un métier que notre société patriarcale a féminisé) Alors, les services rognent de plus en plus sur les heures, les temps de prestations, le nombre de passages. C’est un chouette boulot pourtant, vraiment. Si,si, je vous assure !

Il n’y aura pas de loi grand âge. Pas de PLFSS à la hauteur des besoins des citoyens. De l’argent pour l’armement, pas pour les gens. Je vous laisse apprécier la sémantique de Mme Vautrin et consorts, tirée d’une réponse à un sénateur inquiet: – source JO Sénat du 11/05/2023 – page 3064 –

« La réforme proposée du cahier des charges de l’agrément prévu par l’article R. 7232-6 du code du travail vise, en cohérence avec la réforme récente du cahier des charges de l’autorisation à intégrer les nouveaux modèles de prestation de service à la personne s’appuyant notamment sur le digital, tout en renforçant les exigences de qualité et de protection des personnes fragiles qui s’appliquent aux acteurs s’engageant dans la demande d’agrément. Compte tenu du vieillissement de la population, il s’agit notamment de répondre à la demande très forte des Français de pouvoir demeurer à leur domicile le plus longtemps possible en permettant à de nouveaux acteurs innovants et digitalisés de compléter l’offre d’accompagnement à domicile. »

Parallèlement aux multiples renoncements et coups bas du gouvernement face aux urgences du secteur dont nous sommes malheureusement habitués, la réponse faite par le cabinet de Mme Vautrin est truffée d’erreurs et de flou:

« L’accueil téléphonique sera étendu à sept jours sur sept au lieu de cinq jours sur sept aujourd’hui. Cet accueil téléphonique sera assuré en France afin d’éviter une délocalisation à l’étranger de ce service. »

FAUX : y a une astreinte les soirs et weekend dans les structures « physiques » ! Accueil et astreinte téléphoniques doivent être circonscrits au périmètre d’intervention des professionnelles. Comment répondre aux urgences, quasi quotidiennes si l’on ne connaît pas la personne, son environnement, ses problématiques ?!

« Par ailleurs, afin de lutter contre l’isolement professionnel des intervenants à domicile, le cahier des charges prévoit d’augmenter la fréquence des temps d’échange collectifs en cas d’absence de local d’accueil pour ces professionnels. »

Quelles fréquences, où et comment s’il n’y a pas de lieu physique ? En visio ?! Seront ils comptés comme du temps de travail réel et efficace afin de trouver des solutions rapidement afin d’assurer nos missions essentielles? Quelles instances pour la représentations des intervenantes à domicile ? Imagine t’on un Service de Soins Infirmiers à Domicile (SSIAD), un service hospitalier sans temps de transmissions, sans CSE ?!

Cette décision d’ubériser le secteur de l’accompagnement signe le mépris du gouvernement envers les personnes accompagnées. Nous parlons de personnes fragiles et dépendantes, souvent isolées, pas d’un colis à tracer !

Cette ubérisation va ajouter de la précarité aux collègues et abaisser la qualité des accompagnements des personnes. Elle s’inscrit également dans la droite ligne de la réforme de l’assurance chômage dont le but, ressassé à longueur de prises de parole, est de mettre tout le monde au travail dans les secteurs en tension et par tous les moyens, peu importe les publics, leurs besoins et les compétences requises. Mais aussi, bien sûr, de continuer la casse du salariat et des droits qui s’y attachent.

Juliette, Auxiliaire de Vie.

(1) Pour l’accompagnement à domicile, c’est aujourd’hui 150 000 et 300 000 à l’horizon 2030 pour assurer la totalité des plans d’aide APA et PCH.

(2) Les aides à dom sont au SMIC horaire/Les auxiliaires de vie ont 5 centimes brut de plus /Temps partiels imposés/ Amplitude de journée jusqu’à 12h payées 7 ou 8h cause plannings à trous/ Travail le weekend et jours fériés/la grande majorité des collègues travaillent avec leur véhicule personnel/ indemnité kilométrique entre 22 et 45 centimes du KM (sous le barème des impôts).

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