Portraits : Thomas Sankara, ou comment s’affranchir de la tutelle blanche (Partie 3/3)

“Je me suis fait une raison. Soit je finirai vieil homme quelque part, soit ce sera une fin violente car nous avons tellement d’ennemis. Une fois qu’on l’a accepté, ce n’est plus qu’une question de temps. Cela viendra aujourd’hui, ou demain…”

Critiques et oppositions

Thomas Sankara n’était évidemment pas parfait. Les Comités de Défense de la Révolution (CDR), par exemple, ont été particulièrement contestés. Il s’agissait d’organes décentralisés, exerçant un pouvoir local. Des professeurs, syndicats et partis d’opposition dénonceront la caractère répressif et les abus de pouvoir de ces CDR. Il est probable que l’éducation militaire de Sankara soit la cause d’un certain autoritarisme dans sa façon de gérer certains conflits.

D’autre part, ses ambitions étaient certainement trop forte. Obnubilé par l’envie de bien faire, et malgré des progrès sociaux impressionnants, le modèle économique du pays commençaient à s’essouffler dans les dernières années de sa vie, à force d’efforts et de travail. C’est ainsi qu’il se mit à dos une certaine frange de la population.

Enfin, sa naïveté politique, et en particulier son franc-parler à l’égard des autres chefs d’Etat à travers le monde, seront la cause de relations diplomatiques tendues. Il s’attira entre autre les foudres de François Mitterrand à plusieurs reprises, au sujet de ses accointances avec Fidel Castro, et le bloc de l’Est de manière général.

A partir de 1985 et jusqu’à la fin, Sankara fut de plus en plus isolé politiquement, y compris dans son entourage proche : il affirma lui-même se sentir “mal compris, mal aimé.” Blaise Compaoré, un de ses plus proches amis et frère d’arme, s’éloigna progressivement de lui. Cet éloignement était de mauvaise augure pour Sankara, car son ami possédait encore une forte influence au sein de l’armée du pays.

Il sera finalement assassiné en 1987, à l’âge de 37 ans, ainsi que douze de ses compagnons, durant un putsch qui portera au pouvoir Blaise Compaoré, jusqu’en 2014. Ce dernier restera le principal suspect de ce meurtre. C’est seulement en 2022 qu’il sera officiellement reconnu coupable d’avoir commandité le meurtre de Sankara.

Héritages

Malgré tout, Sankara restera dans l’histoire comme un véritable révolutionnaire, visionnaire dans son approche féministe et écologique de la politique. A cet époque, la quasi totalité des présidents des pays d’Afrique n’était que des marionnettes assurant la continuité du colonialisme français et occidental. Thomas Sankara se positionnera dès lors à contre-courant total des politiques africaines de son temps.

Il n’y avait que peu de barrière entre lui et le peuple, contrairement à ce que l’on peut voir encore aujourd’hui chez la plupart des chefs d’Etat : pas de cortège présidentiel, pas de garde rapprochée, pas de chauffeur. Il se fondait dans la masse, et parlait franchement, sans langue de bois. C’est en partie ce qui expliquait sa grande popularité.

On parle encore aujourd’hui de lui comme le “Che Guevara africain”, ou encore “le président des pauvres”. De nombreux partis et mouvements politiques se réclament de son héritage. Son discours sur l’annulation de la dette a marqué les esprits, et des mouvements internationaux tels que le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) y font régulièrement référence. Enfin, en 2023, le gouvernement burkinabè le nomma “Héro de la Nation”.

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