« C’est pas moi, c’est les autres »
Le 12 mars, Emmanuel Macron a prononcé un discours à l’occasion de la « rencontre des cadres dirigeants de l’Etat » (comprenez : une rencontre avec la haute fonction publique). Une partie de ce discours a retenu notre attention, car elle est révélatrice de la stratégie de communication de Macron depuis qu’il est au pouvoir, et plus largement du danger fascisant qui pèse sur les « démocraties » occidentales.
Il s’exprime sur la loi du 10 août 2018 portant sur le droit à l’erreur, dans le cadre de la simplification administrative. Et alors là, accrochez-vous bien, parce que le niveau de lâcheté du personnage atteint encore une fois des sommets. Il se plaint en effet que la loi n’est pas correctement appliquée. Et à l’entendre, c’est la faute de tout le monde, sauf de l’exécutif.
Le président commence par affirmer que « la loi [votée au Parlement] a mis plein d’exception sur le droit à l’erreur. » Premier mensonge. Pour comprendre cela, il est important de contextualiser. Nous sommes alors au début du premier mandat de Macron.
Il s’agit d’une période où la majorité à l’assemblée était dans les faits totalement soumise à Macron. En effet, nombre de député·es de cette majorité avait été catapulté·es sur le devant de la scène politique, notamment en intégrant son nouveau parti (à l’époque LREM, La République En Marche).
De plus, même sans prendre en compte ce contexte particulièrement favorable, et comme le résume parfaitement Clément Viktorovitch, « d’une manière générale, au Parlement, ce que le gouvernement veut, il l’obtient ».
Ainsi, prétendre que la loi « a mis plein d’exceptions » dans le projet de base est complètement faux, en plus d’être malhonnête. C’est tout simplement Macron et ses député·es qui ont voté une mauvaise loi. La responsabilité leur incombe pleinement, et ce qui a été inscrit dans la loi correspond exactement à ce qu’il voulait.
Le président prétend ensuite que « après la loi, le règlement en a remis d’autres [des exceptions] ». Ici encore, Macron sous-entend qu’un certain « règlement », sur lequel il n’aurait pas d’influence, aurait freiné la portée de sa loi.
Deuxième mensonge. Comprenons bien ici quelque chose. Lorsqu’il parle de règlement, Macron fait en réalité référence aux décrets, qui permettent l’application d’une loi. Or, ces décrets, vous savez d’où ils viennent ? Directement du Conseil des Ministres. Conseil des Ministres présidé par… Le président en personne. Les décrets reflètent donc DIRECTEMENT la responsabilité du gouvernement et du président.
Quel farceur, ce Macron. Mais attention, ce n’est pas terminé ! Il finit son argumentation en prétextant que « des administrations [publiques] l’ont fait [appliquer les décrets], d’autres non ». Traduction : les vilaines administrations ont boycotté sa loi, et il n’a rien pu faire pour empêcher cela. Le pauvre.
Il est nécessaire d’expliquer brièvement ici comment cela fonctionne. Afin d’informer les différents services décentralisés de l’Etat (en l’occurrence les administrations publiques), sont émises ce que l’on appelle des « circulaires ».
Ces circulaires doivent entre autre fournir des explications et des instructions sur la façon d’appliquer une loi ou un décret. Dans le cas qui nous intéresse ici, elles sont émises par les ministères concernés. Oui, vous avez bien lu. Les instructions proviennent DIRECTEMENT des ministères, et donc du gouvernement lui-même.
Pour résumer, on a donc un président qui dénonce le Parlement et les administrations publiques pour justifier l’échec de sa loi. Loi initiée par LUI-MEME, votée par SES député·es, appliquée par SES décrets en Conseil des Ministres. La macronie, et Macron en particulier sont in fine les seuls responsables de cet échec. Voilà un fait indiscutable.
Des arguments fallacieux pour se dédouaner de toute responsabilité
Pour se dédouaner de ses responsabilités, le président utilise ce que l’on nomme en rhétorique le sophisme par abduction. Il s’agit de partir d’une conséquence (par exemple : le sol est mouillé), et à en inférer une et une seule cause (c’est parce qu’il a plu). Ce faisant, on balaye toutes les autres causes qui pourraient expliquer le phénomène (par exemple, les services d’entretien ont mouillé le sol pour le nettoyer).
Ainsi, en partant d’une conséquence (« les gens disent que je suis déconnecté »), Macron va en tirer une seule explication possible : les administrations ont mal appliqué sa loi. A l’entendre, lui n’y serait donc pour rien.
Il s’agit ici d’une stratégie de communication consistant à systématiquement se dédouaner lorsque quelque chose ne se passe pas comme prévu. Cette stratégie fait partie intégrante de la politique macroniste, et constitue un grave manquement à la démocratie.
En effet, c’est une forme de lâcheté de la part du pouvoir qui peut aller très loin. La France risque à tout moment d’entrer dans un conflit ouvert avec la Russie ? Pas sa faute. La flicaille assassine régulièrement des personnes, bien souvent précaires et racisé·es ? Pas sa faute. Les inégalités se creusent, l’hôpital, les services publics se meurt ? Pas sa faute.
Vous saisissez l’idée. En se dédouanant de toute responsabilité, en n’assumant aucun de ses mauvais choix, l’Etat peut se permettre de tenter tout et n’importe quoi. Ajoutez à cela la complicité des médias mainstream, qui relaye sans discuter la parole bénie du gouvernement et du président, et vous obtenez un Etat en roue libre, autoritaire, glissant de plus en plus vers le fascisme, sans rien qui ne puisse l’arrêter.