Frichti au Prud’hommes : Une victoire en vue pour les coursiers et les coursieres

Le combat des travailleurs et des travailleuses précaires face aux géants de la livraison continue. Plus de 150 anciens coursiers et coursieres de Frichti, une start-up française autrefois emblématique du « quick commerce », ont engagé des poursuites devant le conseil des prud’hommes pour travail dissimulé et licenciement abusif. Ils réclament la reconnaissance de leur statut de salariés et des compensations pour les conditions de travail indignes auxquelles ils ont été soumis.

Le 23 mai, un groupe déterminé d’anciens coursiers et coursieres, majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne, s’est rassemblé devant le conseil des prud’hommes de Paris. Parmi eux, Sékou Fokolo, un livreur à vélo sans-papiers qui a travaillé pour Frichti entre 2021 et 2023.  » Le livreur n’était rien qu’une serpillière. Ils ont abusé de tout le monde, ils nous ont maltraités « , déclare-t-il avec amertume. Les témoignages sont édifiants : devoir monter jusqu’au sixième étage sans ascenseur pour livrer des packs d’eau ou de bière, sous la menace de perdre leur compte en cas de refus ou de plainte de clients.

Des conditions de travail inhumaines

Les conditions de travail décrites par ces coursiers et coursieres sont d’une dureté extrême. Tous les temps, qu’il pleuve ou qu’il neige, ils devaient effectuer leurs livraisons, parfois avec des sacs pesant jusqu’à 42 kilos. Les souvenirs de douleurs physiques sont omniprésents : dos brisé, genoux abîmés, accidents de vélo fréquents. La rémunération était dérisoire, avec une moyenne de 5 euros brut de l’heure, bien en dessous du salaire minimum légal.

La liberté promise par le statut d’autoentrepreneur s’est avérée être une illusion. En réalité, les coursiers devaient respecter des horaires fixes et des lieux de travail précis, exactement comme des salariés classiques. Ils étaient sanctionnés en cas de retard ou de plaintes, et leur capacité à obtenir de bons créneaux de travail dépendait de leur assiduité. La majorité des pourboires, destinés à améliorer leurs maigres revenus, leur échappaient, étant souvent détournés par l’entreprise.

Une exploitation systématique

La plupart de ces gens ont été recrutés par d’autres sans-papiers et ont dû utiliser de faux numéros Siren pour s’inscrire sur l’application de Frichti. Cette fraude organisée permettait à l’entreprise de fermer les yeux sur le statut légal de ses employés tout en maintenant une pression constante sur eux. Adama Konaté, un des plaignants, se souvient :  » Ils nous disaient qu’ils savaient d’où venaient nos documents, et que si l’on essayait de manifester, ils en parleraient à la police. « 

En mai 2023, le placement de Frichti en redressement judiciaire a été le coup de grâce pour de nombreux coursiers, qui ont appris du jour au lendemain qu’ils ne pouvaient plus travailler pour la plateforme.  » Ils nous ont dit qu’ils étaient en faillite, alors que c’était faux « , dénonce Sékou Fokolo. La brutalité de cette déconnexion a laissé beaucoup d’entre eux sans ressource et sans soutien, soulignant encore davantage l’inhumanité de leur traitement.

Le 4 juin marque le début officiel des contentieux avec cinq nouveaux demandeurs. Leur avocat, Me Kevin Mention, s’appuie sur les précédents judiciaires, comme les condamnations de Deliveroo ou Uber, pour espérer une reconnaissance rapide de leurs droits. Ces livreurs espèrent que la procédure ne s’éternisera pas et qu’ils obtiendront enfin justice.

Cette affaire met en lumière la précarité et l’exploitation auxquelles sont confrontés les travailleurs et les travailleuses des plateformes de livraison. Elle rappelle aussi l’importance de la solidarité entre travailleurs, qu’ils soient documentés ou non. Les actions en justice, les manifestations et la médiatisation de leur lutte sont autant de moyens de faire pression sur ces entreprises pour qu’elles respectent enfin les droits de leurs employés.

Le combat des coursiers et des coursieres de Frichti devant les prud’hommes est un symbole fort de la lutte pour des conditions de travail dignes et la reconnaissance des droits des travailleurs précaires. Leur détermination à obtenir justice, malgré les obstacles et les menaces, est un exemple inspirant de résistance ouvrière. Cette bataille judiciaire pourrait bien marquer un tournant dans la régulation des conditions de travail des livreurs et ouvrir la voie à une reconnaissance accrue de leurs droits à travers le secteur du « quick commerce ».

En attendant le verdict, la solidarité avec ces travailleurs reste essentielle. Leur combat est celui de tous ceux qui refusent l’exploitation et l’injustice dans le monde du travail moderne. La reconnaissance de leurs droits serait une victoire pour tous les travailleurs précaires, un pas en avant vers une société plus juste et équitable.

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