L’État et l’Église, main dans la main
Depuis la colonisation de la Guyane au XVIIe siècle, des efforts évangélisateurs intensifs ont été menés. Mais c’est au début des années 1930 que les homes indiens voient le jour. Créés dans un cadre missionnaire religieux, ces pensionnats sont ensuite légalisés et financés par l’État après 1946. Environ 2000 enfants des communautés autochtones et Bushinengués (descendants d’esclaves africains échappés des plantations du Suriname) ont été contraints d’oublier leur culture et d’adopter les mœurs, la langue française et la religion catholique, souvent arrachés à leurs familles dès l’âge de 2 ou 3 ans. Le dernier home a fermé en 2023, encore dirigé par des religieuses.
En Guyane, la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État n’a jamais été appliquée. Cela permet aux autorités françaises de légaliser et de financer les actions du clergé en 1949. Sous la politique indigéniste du « service des populations primitives », dirigée par le premier préfet Robert Vignon, les prêtres et religieuses deviennent des relais entre l’État et les peuples autochtones et Bushinengués. Le clergé catholique est alors rémunéré pour entretenir les enfants au sein de leurs structures religieuses. L’objectif était de franciser ces populations et de les transformer en travailleurs bon marché.
Violence et Abus dans les Homes
Les enfants, parfois dès l’âge de 2 ans, sont enlevés à leurs familles et enfermés dans un système où les interdictions et les obligations pleuvent. Ils ne peuvent garder leurs vêtements traditionnels, parler leur langue natale, ou même sortir des pensionnats. La discipline est imposée par l’autorité et souvent par la violence. Les punitions sont courantes, et les enfants doivent adopter les vêtements occidentaux, parler français, et se soumettre à un emploi du temps strict. Leur culture et leur identité sont systématiquement effacées.
En classe, l’enseignement est centré sur l’histoire de la France, le catéchisme et la prière, sans aucune place pour l’histoire ou les croyances de la Guyane. Les enfants sont forcés d’assister à des messes dominicales et de prier dans une langue qu’ils comprennent à peine.
L’Impact Dévastateur
Les conséquences de cette acculturation sont profondes et durables. Les familles sont fragilisées, et les tensions se développent entre ceux qui maîtrisent la langue française et ceux qui ont des lacunes. Un malaise puissant est palpable dans ces communautés, où les suicides sont nombreux depuis plusieurs décennies.
Jean-Pierre Massias, professeur de droit public et président de l’IFJD (Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie), prône la création d’une commission de vérité et réconciliation. Cette commission permettrait une approche autochtone des événements, en rassemblant toutes les parties dans un dialogue libre. Enquêter, restituer la mémoire et la justice des événements enfouis, et amorcer des processus de réparation sont parmi les actions envisagées.
Bien que le Grand Conseil Coutumier des populations autochtones et Bushinengués avait initialement mandaté l’IFJD pour enquêter, le partenariat s’est arrêté, et l’organisme n’a pas souhaité poursuivre les démarches. Malgré cela, la publication de l’enquête d’Hélène Ferrarini et du rapport de l’IFJD met en lumière un passé colonial qu’il est temps de confronter.
La Violence Coloniale Continue
L’histoire des homes indiens est celle de missionnaires convaincus de leur devoir de conversion et celle d’un État qui, pour des intérêts économiques et politiques, a permis la continuation de pratiques coloniales. Jean-Victor Castor, député de la 1ère circonscription de la Guyane, souligne que la colonisation persiste sous différentes formes, et que les méthodes coloniales se retrouvent encore dans le système éducatif actuel.
Les homes ont conditionné des générations à penser, parler et travailler comme des Français. Les communautés autochtones continuent de lutter pour récupérer ce qui leur a été soustrait, notamment les terres spoliées. Bien qu’ils ne considèrent pas la terre comme une propriété, la lutte pour la rétrocession de terres est en cours depuis les années 1980. Les anciens pensionnaires utilisent les outils conférés par les homes, comme la langue française, pour se faire entendre et avancer leur cause.