En 1885, à seulement 25 ans, Jaurès se lance dans la mêlée politique avec un discours adressé aux ouvrières et ouvriers des mines et de la verrerie à Carmaux. Conscient de l’exploitation éhontée des travailleurs, il imagine une répartition plus juste des richesses et une réduction drastique du temps de travail. Ce premier pas marque le début d’un engagement sans faille aux côtés des opprimés.
Élu député du Tarn la même année, Jaurès devient rapporteur du projet de loi instaurant des délégués ouvriers et se bat contre l’arbitraire patronal pour leur indépendance. Il voit dans cette mesure une première forme de démocratie ouvrière. À une époque où les systèmes de retraites sont rares et sous la coupe des patrons, il milite pour des retraites dignes et indépendantes, soutenant les organisations ouvrières.
En 1895 Jaurès soutient l’initiative autonome des ouvriers verriers d’Albi qui vont créer leur propre usine. Le patron venait d’en licencier 300. Avec les organisations syndicales et socialistes, il prend part à l’organisation d’une collecte de fonds pour la Verrerie ouvrière. Mais il est persuadé que le socialisme ne peut se limiter à des coopératives ouvrières échappant à l’exploitation patronale. Il critique la pression du marché et de la concurrence, mais voit chaque pas vers l’indépendance ouvrière comme une victoire. Pour lui, ces luttes s’inscrivent dans une perspective anticapitaliste et internationaliste. Il dénonce le capitalisme comme une machine à générer des guerres : “une guerre permanente, éternelle, universelle”. En 1907, lors du congrès de l’Internationale ouvrière à Stuttgart, il déclare : “Le capitalisme, c’est le désordre, c’est la haine, c’est la convoitise sans frein, c’est la ruée d’un troupeau qui se précipite vers le profit et qui piétine des multitudes pour y parvenir.”
Pour Jaurès, le socialisme ne tolère pas les nations esclaves ou humiliées. Il est l’ennemi juré de l’exploitation de l’homme par l’homme et de la domination d’une nation par une autre. Toute hégémonie mondiale est un obstacle à l’idéal socialiste, qui aspire à une unité humaine par la fédération des nations autonomes. Sur la colonisation, Jaurès a évolué. Jeune, il la soutenait, mais il a vite découvert sa véritable nature avide et violente. “Les colonies sont, pour les pays riches, un placement en capitaux des plus avantageux”, disait Jules Ferry. Jaurès comprend alors la réalité brutale : expropriation, pillage, et rapines. “C’est en les pillant que des milliers d’aventuriers s’enrichissent.”
Pour lui, le colonialisme est “la conséquence la plus déplorable du régime capitaliste”. Il dénonce la déprédation, la rapine et la férocité du colonialisme, s’en faisant de nombreux ennemis. Dans le premier éditorial de L’Humanité en 1904, il demande : “Comment donner le beau nom d’humanité à ce chaos de nations hostiles et blessées, à cet amas de lambeaux sanglants ?”
Jaurès lit Marx et comprend l’exploitation à la source du profit capitaliste. La lutte des classes devient pour lui une évidence, validée par sa présence aux côtés des mineurs en grève. Dans “L’armée nouvelle” en 1911, il imagine “une société où il n’y aura plus de classes”.
Le socialisme est, selon Jaurès, profondément révolutionnaire. Il voit les réformes comme des “préparations” pour une transformation révolutionnaire. Il imagine une mise en place graduelle de types variés de propriété sociale, coopérative, et communale, réduisant peu à peu l’emprise du capital. Pour Jaurès, république et socialisme sont indissociables. Mais cette république doit changer de nature : elle doit devenir démocratique et sociale pour être émancipatrice. Les réformes sont cruciales mais ne sont que des corrections du capitalisme. Jaurès prône un “socialisme collectiviste”, parfois appelé “communisme”, visant à remplacer la propriété capitaliste par une propriété sociale.
La grève générale est pour lui l’arme ultime contre la guerre. Quelques jours avant sa mort, dans un éditorial de L’Humanité, il appelle à une grève générale, simultanée et internationalement organisée, pour contrer le péril de la guerre. Jean Jaurès, jusqu’à son dernier souffle, a combattu sans relâche pour un monde plus juste, contre les oppresseurs de toutes sortes. Et même si il fut un bourgeois social démocrate, son héritage reste un phare pour toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans le socialisme qu’il soit libertaire, marxiste ou démocrate !