Philippe Ciais, climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, tire la sonnette d’alarme. » Si cette tendance continue, on va droit dans le mur « , prévient-il. Selon les données des satellites et des modèles climatiques, la situation est pire que prévu. L’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée, avec des événements extrêmes qui ont ravagé tous les continents. La concentration de CO2 dans l’atmosphère a explosé, augmentant de 86 % par rapport à 2022, un record depuis 1958.
Une absorption en chute libre
Les scientifiques sont abasourdis : les puits de carbone terrestres ont absorbé entre 1,5 et 2,6 milliards de tonnes de CO2 en 2023, loin des 7,3 milliards de tonnes annuelles en moyenne sur la dernière décennie. C’est le plus bas niveau depuis 2003. Pendant ce temps, le puits de carbone océanique a fait son boulot, absorbant entre 8,5 et 9,5 milliards de tonnes de CO2 grâce au phénomène El Niño.
L’Amazonie, souvent appelée le poumon de la planète, a été transformée en source de carbone à cause de la sécheresse extrême de juin à novembre 2023. En Asie du Sud-Est, le manque de pluies dû à El Niño a également réduit l’absorption de CO2, tandis que l’Afrique centrale et de l’Est ont mieux résisté grâce à des conditions plus humides. Mais le nord de la planète n’a pas été épargné : les incendies au Canada ont brûlé 185 000 kilomètres carrés de forêts, et la Sibérie n’a pas été mieux lotie.
Un avenir sombre
Les perspectives sont sombres. Les modèles climatiques ne parviennent pas à anticiper ces dynamiques extrêmes et les réactions des puits de carbone terrestres. Il est donc probable que nous assistions à une augmentation des émissions au-delà des prévisions, entraînant des températures encore plus élevées. Un scénario catastrophique alors que les émissions actuelles mènent déjà la planète vers un réchauffement de 2,5 à 2,9 °C d’ici la fin du siècle.
Le verdissement de la Terre, souvent utilisé comme argument par les climatosceptiques, n’est pas une bonne nouvelle. Certes, les surfaces vertes augmentent avec le temps, mais cela ne signifie pas une hausse globale des puits de carbone. Les gains modestes liés au verdissement sont contrebalancés par les pertes énormes de CO2 causées par les perturbations des forêts.
Les impacts à long terme sont inquiétants. Dans les régions boréales, les terres ravagées par les incendies mettront plus de cent ans à retrouver leur capacité de stockage de carbone. En France, la capacité de stockage du carbone par les forêts a été divisée par deux en dix ans, et elle a diminué de 20 % en Europe.
Josep Canadell, directeur exécutif du Global Carbon Project, confirme que les modèles climatiques ne capturent pas bien ces dynamiques extrêmes. » Il est donc possible que nous assistions à une augmentation des émissions au-delà des prévisions, ce qui entraînerait des températures plus élevées à l’avenir « , déclare-t-il. Un scénario dramatique alors que les températures continuent de battre des records en 2024.