» La meilleure façon de combattre l’Union européenne, c’est d’essayer de la noyauter de l’intérieur ! » clame fièrement Gilles Lebreton, eurodéputé du RN. Voilà donc le grand plan : infiltrer le Parlement européen pour mieux profiter de ses avantages. Le fondateur Jean-Marie Le Pen a siégé à Strasbourg pendant trente-cinq ans, suivi par sa fille Marine Le Pen et aujourd’hui par Jordan Bardella. Plutôt que de se consacrer au travail parlementaire, ils ont perfectionné l’art de siphonner les ressources européennes pour leurs propres intérêts.
Des débuts humbles aux ambitions démesurées
Dès 1984, le Front National (FN) envoyait ses premiers élus à Strasbourg. Ces pionniers ne se préoccupaient guère du processus législatif. Non, leur véritable intérêt résidait ailleurs : salaires mirobolants, subventions, embauches massives de personnel. » Avoir des élus européens nous permettait d’avoir des frais de mission, des possibilités de voyager, mais aussi de financer du personnel « , admettait sans vergogne Jean-Marie Le Chevallier, ancien trésorier du groupe.
2014, l’année où le FN devient le premier parti de France au Parlement européen. Une horde de plus de cent frontistes débarque à Strasbourg, transformant l’institution en leur propre terrain de jeu. » Ça a été un séisme, une rupture à tous les niveaux « , se souvient Gilles Lebreton. Non seulement ils se sont amusés avec les dîners, apéritifs et soirées karaokés, mais ils ont surtout fait main basse sur les ressources financières.
La machine à cash européenne
Les élu·es du RN perçoivent 7 853 euros net mensuels, avec une série d’avantages non négligeables : une enveloppe de 4 950 euros pour les frais de fonctionnement, 350 euros par jour de présence et le remboursement des frais de transport. Chacun·e bénéficie aussi d’une enveloppe de 28 696 euros mensuels pour embaucher des collaborateurs, souvent des proches de Marine Le Pen.
Mais tout cela n’était pas suffisant. Ils ont également utilisé le Parlement comme une vache à lait, rémunérant des cadres du parti avec des fonds européens. Des sociétés amies ont touché des millions pour des prestations de communication douteuses. L’Olaf, l’Office de lutte antifraude européen, et la justice française se sont rapidement intéressés à ces pratiques. Marine Le Pen, son parti et vingt-six autres personnes seront jugés pour détournement de fonds publics en septembre.
Réseautage de haut vol
Le Parlement européen a également été un formidable outil de professionnalisation pour les membres du RN. » Ils ont appris à apprivoiser les règles et codes de l’institution, gérer des ressources humaines, maîtriser une technicité administrative « , explique Arnaud Danjean, eurodéputé Les Républicains.
Enfin, le RN a utilisé Strasbourg pour nouer des alliances et se bâtir un réseau international. En se distanciant des alliés néonazis de Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen a créé un parti européen plus fréquentable. Des cafés avec les membres du parti de Viktor Orbán, des alliances ponctuelles avec des conservateurs européens : tout est bon pour gagner en respectabilité.