Plastique partout, solutions nulle part : l’urgence d’un Traité mondial

La pollution plastique, c’est une plaie ouverte qui s’infecte un peu plus chaque jour, et pourtant, on a l’impression que rien ne change.

Partout dans le monde, on parle de cette menace omniprésente, mais le problème reste irrésolu. Les océans regorgent de déchets, les sols en sont saturés, et même l’air que nous respirons est contaminé par des particules invisibles à l’œil nu. En moins d’un siècle, l’humanité a produit deux fois plus de plastique que le poids total de tous les animaux sur terre. C’est comme si on avait décidé de transformer notre planète en une gigantesque poubelle.

Mais voilà, la pollution plastique, ce n’est pas juste une question de déchets mal gérés. Ça va bien au-delà. Chaque étape du cycle de vie du plastique – de l’extraction des matières premières à sa production, en passant par sa transformation, son utilisation et, finalement, sa décomposition en microplastiques – contribue à la dégradation de notre environnement. Et c’est tout notre écosystème qui trinque, des abysses océaniques jusqu’à l’atmosphère.

Les scientifiques n’arrêtent pas de tirer la sonnette d’alarme, mais qui les écoute vraiment ? Ils nous avertissent que la planète entière est en train de se “plastifier”, avec des conséquences graves sur la santé humaine et l’environnement. Pourtant, les décideurs traînent les pieds. Heureusement, des chercheurs français, parmi d’autres, ont décidé de prendre les choses en main. Ils ont rejoint une coalition internationale de scientifiques pour peser dans les négociations autour d’un Traité mondial contre la pollution plastique. Cette initiative, c’est notre dernière chance de mettre fin à ce désastre.

En avril 2024, à Ottawa, au Canada, ces scientifiques ont participé à la quatrième session de négociation du Traité mondial contre la pollution plastique (CIN-4). C’était l’avant-dernière étape avant la finalisation du Traité prévue en novembre 2024 à Busan, en Corée du Sud. L’idée de ce Traité a pris forme en mars 2022, quand le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a adopté une résolution historique. 175 pays ont voté pour la création d’un instrument international destiné à mettre fin à la pollution plastique. Cinq sessions de négociation ont été prévues, et l’objectif est d’aboutir à un accord d’ici la fin de l’année.

Mais soyons clairs, les négociations ne sont pas une promenade de santé. Les lobbys industriels sont présents en force. Lors des dernières négociations, ils représentaient environ 10 % des participants, et certains n’ont pas hésité à nier l’évidence de la pollution plastique, une insulte à l’intelligence humaine. Face à cela, la coalition scientifique – composée de plus de 350 chercheurs issus de différents pays – n’a qu’un objectif : ramener le débat sur le terrain des faits, loin des manipulations intéressées des industriels.

Cette coalition, créée en novembre 2022, s’est dotée de règles strictes pour éviter tout conflit d’intérêts, notamment avec les industries chimiques et pétrolières. Depuis sa création, elle a produit 17 notes d’information et de synthèse pour éclairer les négociateurs sur les enjeux scientifiques liés aux plastiques. Le but est simple : fournir des arguments basés sur des preuves, et non sur des opinions achetées par des lobbys.

L’une des premières victoires de cette coalition a été de recentrer le débat sur le cycle de vie complet des plastiques, et non seulement sur la gestion des déchets. Parce que le plastique, ça commence bien avant qu’il ne devienne un déchet. Ça commence avec l’extraction des matières premières, principalement du pétrole (99 % des plastiques en sont dérivés), et ça continue tout au long du processus de production, de transformation, de conditionnement, de distribution et de consommation.

La réalité, c’est que seuls 9 % des déchets plastiques sont recyclés à l’échelle mondiale. C’est un échec cuisant pour toutes les politiques de gestion des déchets qui ont mobilisé des ressources énormes sans pour autant obtenir des résultats satisfaisants. En France, par exemple, nos poubelles jaunes sont loin de pouvoir tout recycler. En 2021, seulement 59 % des bouteilles et flacons en plastique ont été recyclés, et le chiffre tombe à 11 % pour les autres types d’emballages en plastique. Le reste finit soit dans des incinérateurs, qui même sous contrôle polluent l’atmosphère, soit dans des décharges, contaminant les sols et les eaux. Et on n’a même pas besoin de parler des effets dévastateurs sur la faune et la flore, ni sur notre propre santé.

La coalition des scientifiques ne se contente pas de décrire ce sombre tableau, elle propose des solutions concrètes. L’une d’elles est de réduire la production mondiale de plastiques primaires. Cette production a dépassé les 400 millions de tonnes par an en 2019, une quantité tout simplement insoutenable pour notre planète. Mais réduire cette production, ça ne plaît pas à tout le monde, surtout pas aux pays producteurs de pétrole qui ont tout intérêt à ce que l’industrie plastique continue de tourner à plein régime. Heureusement, des pays du G7, comme les États-Unis et le Canada, ont commencé à s’engager en faveur de cette réduction, donnant ainsi une certaine légitimité à cette option.

Mais ce n’est pas tout. Pour vraiment s’attaquer à la pollution plastique, il faut aussi se poser la question de l’essentiel. Est-ce que tous les plastiques que nous produisons sont vraiment nécessaires ? Certainement pas. Les plastiques à usage unique, les emballages superflus, voilà des cibles évidentes pour réduire la production. Ces plastiques non essentiels pourraient être les premiers à disparaître, ouvrant la voie à une consommation plus responsable.

Un autre enjeu crucial soulevé par les scientifiques est la question des produits chimiques utilisés dans les plastiques. Il y en a plus de 16 000, et parmi eux, plus de 4 300 sont toxiques. Pour les autres, on n’en sait pas encore assez, mais ce qu’on sait suffit à inquiéter. La coalition scientifique a donc établi une “liste noire” de ces produits chimiques dangereux et demande la levée du secret industriel pour une transparence totale. Il est temps que nous sachions exactement ce que contiennent les produits que nous utilisons quotidiennement.

Et puis, il y a la question de la responsabilité. Qui doit payer pour les dégâts causés par la pollution plastique ? Cette pollution ne se contente pas de salir notre environnement, elle contribue aussi à la crise climatique, à la perte de biodiversité, et elle nuit gravement à la santé humaine. Les mécanismes de financement qui seront définis dans le Traité doivent prendre tout cela en compte. Il ne s’agit pas seulement de financer le traitement des déchets, mais aussi de soutenir une transition juste vers une société moins dépendante du plastique, surtout pour les populations les plus vulnérables.

Le travail des scientifiques commence à porter ses fruits. Leur contribution aux négociations a été saluée par de nombreux représentants gouvernementaux. Mais le chemin est encore long. Les campagnes de désinformation menées par les lobbys et les nouvelles tentatives d’intimidation envers les scientifiques montrent que tout le monde n’est pas prêt à accepter la réalité. Pourtant, le Traité mondial contre la pollution plastique ne pourra être efficace que s’il repose sur des faits scientifiques robustes et indépendants.

En novembre 2024, à Busan, en Corée du Sud, la dernière session de négociation du Traité sera cruciale. L’avenir de notre planète dépendra de la capacité des gouvernements à écouter les scientifiques et à prendre des mesures audacieuses, en dépit des pressions exercées par les lobbys industriels. L’enjeu est de taille : il s’agit de prendre en compte, sans aucune réserve, les impacts des plastiques et de leurs composés chimiques sur la santé humaine et l’environnement. Le temps presse, et nous ne pouvons pas nous permettre de continuer sur la voie actuelle. Si nous n’agissons pas maintenant, la planète tout entière pourrait devenir une victime silencieuse de notre folie plastique.

Les chercheurs sont clairs : il est temps de prendre des décisions courageuses. Fini les tergiversations. La réduction de la production de plastique, la transparence sur les produits chimiques utilisés, et la responsabilisation des producteurs ne sont pas des options, ce sont des impératifs. Et si les gouvernements ne les intègrent pas dans le Traité final, ils auront échoué non seulement aux yeux de l’histoire, mais aussi aux yeux des générations futures qui hériteront de ce désastre.

La bataille est loin d’être terminée, mais il est encore temps de changer le cours des choses. Si les négociations à Busan aboutissent à un Traité ambitieux, alors il y aura de l’espoir. Sinon, ce sera une nouvelle occasion manquée, et les conséquences seront désastreuses pour nous tous.

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