Premier bémol : parler d’ » échec de la gauche « , c’est réduire le problème aux défaites électorales des candidats de gauche. Pourtant, dans les campagnes, subsistent des réflexes de solidarité, des colères face à l’injustice, des comportements qui sont, moralement, de gauche.
Alors, pourquoi cette poussée du RN ? Pourquoi ceux qui devraient être les premiers concernés par la lutte sociale tournent-ils le dos à la gauche ?
On nous ressert l’argument du niveau d’études. Le paysan, ce pauvre idiot inculte, serait naturellement de droite. C’est faux. Les pires réactionnaires dans les campagnes sont souvent les gros exploitants, ceux qui ont fait des études. Leur conservatisme ? Une pure défense de leurs intérêts : pas une miette de foncier, de salaires ou de pratiques polluantes ne doit leur échapper.
Le plus déroutant, c’est la montée du vote à droite chez les » petits « . Ces paysans qui triment pour des clopinettes, se font saigner par l’agro-industrie, dépendent d’un régime social archaïque et n’ont presque aucun accès aux services publics. Pourtant, ils votent contre leurs propres intérêts. Pourquoi ?
Parce qu’ils rejettent cette gauche-là. Celle qui, dans leurs yeux, n’est plus qu’une extension du monde urbain : moralisatrice, bruyante, coupée du réel. Nulle part, dans ces analyses, n’est mentionnée l’autochtonie, pourtant essentielle.
Le paysan n’est pas naturellement raciste, égoïste ou nationaliste. Il est las. Sa famille a quitté la misère d’hier pour embrasser l’agriculture moderne : moins de souffrance, une maison chauffée, un confort minimal. Mais voilà qu’arrivent à la campagne les néo-ruraux.

Au début, ils amusent. Puis, quand ils se multiplient, ils agacent. Le premier choc ? Le rapport à l’argent. Le paysan vit pour accumuler : pas par cupidité, par nécessité. Le néo-rural, souvent issus de la bourgeoisie, lui, affiche son mépris pour l’argent, se dit anticapitaliste et cultive souvent » pour le plaisir » – sans en vivre.
Le deuxième choc ? La communication. Le paysan ne parle pas, il fait. Il ne poste pas des photos de son travail ; il se contente d’un hangar rempli dont il est fier. Le néo-rural, lui, exhibe sa vie » instagrammable » à coups de belles images et de récits édifiants, promus par les gourous de l’agroécologie médiatique.
Mais le pire, c’est l’arrogance. Le paysan n’est pas prosélyte : il ne théorise pas, il juge à l’efficacité. Le néo-rural, lui, critique : techniques polluantes, bien-être animal… Il a des idées et il les hurle. Il joue au donneur de leçons, alors qu’il peine à produire autre chose que des slogans.
Le paysan, lui, fait. Et il en a assez d’être » plouquisé » par ces urbains venus imposer leurs discours, leurs modes de vie, leurs valeurs. Il voit dans cette colonisation verte une intrusion de la ville, qu’il déteste et considère comme un échec civilisationnel.
Voter pour ces nouveaux venus ou leurs idées ? Hors de question. À la campagne, on ne vote pas pour des idéologies abstraites. On vote pour celui qui amène l’eau potable, les routes, l’électrification. Pour celui qui apaise d’anciennes rancunes et redonne un peu de fierté au village.
Et pourtant, il existe des néo-ruraux qui réussissent. Ceux qui arrivent en silence, travaillent dur, s’intègrent avec respect et discrétion. Mais ils ne sont pas ceux que l’on voit dans les colonnes des journaux ou les documentaires sur l’agriculture » alternative « .
L’erreur majeure de la gauche ? Penser la politique comme une bataille pour les institutions ou une lutte associative savamment orchestrée par les dominants. À la campagne, ce n’est pas la gauche qu’on rejette : c’est sa déconnexion.
Il est temps de comprendre que, pour exister dans ces territoires, il faut commencer par se taire, écouter, et surtout faire.